Il y a quelques années, j'ai enseigné un cours sur l’histoire du monde à des étudiant·es de première année universitaire. Le cours était prévu un lundi matin à 8h30et, comme on pouvait s'y attendre, les étudiant·es n’étaient pas nombreux·ses. Peu d’entre eux·elles étaient présent·es. Il y avait cependant quelques étudiant·es très engagé·es. Elles et ils étaient présent·es aux cours, prenaient des notes et posaient de bonnes questions. Ce sont ces étudiant·es qui m'ont permis d’aller de l’avant. Si je me souviens bien, très peu d’entre eux·elles étaient spécialisé·es en histoire. Seule une minorité d'entre eux·elles étaient des étudiant·es en histoire. Les autres étaient des étudiant·es en affaires publiques, économie, journalisme et autres domaines d'études qu'elles et ils considéraient comme « utiles » et qui les aiderait à « obtenir un emploi ».

À la fin de l'année universitaire, un certain nombre de ces étudiant·es très enthousiastes devaient recevoir des certificats d'excellence lors du colloque annuel des étudiant·es de premier cycle organisé par le département d'histoire. Elles et ils se sont tou·tes présenté·es et ont également assisté à la réception qui leur a permis de se mêler de manière informelle aux membres du corps enseignant. Comme je l'ai constaté, pour les étudiant·es, c'était l'occasion parfaite pour poser des questions qu'elles et ils n'étaient pas à l'aise de poser à un·e professeur·e en classe.

Comme vous pouvez l'imaginer, ce fut un tournant important dans la façon dont j'allais dispenser mon cours. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à penser à l'enseignement de l'histoire de manière radicale.

L'un de ces étudiants - appelons-le « l'etudiant très brillant des affaires publiques avec un don pour l'histoire » - s'est approché de moi et m'a dit, très respectueusement, quelque chose du genre : « Professeure - j'ai vraiment aimé votre cours, mais je dois vous poser une question... Quel était l'intérêt d'apprendre tout ce que vous nous avez enseigné dans ce cours ? » Comme vous pouvez l'imaginer, j'étais abasourdie. Je ne me souviens pas de ma réponse à ce moment-là, mais je sais que j'y ai souvent réfléchi. Sans le savoir, cet étudiant m'avait alerté sur le fait que j'avais commis un « échec » pédagogique majeur. Pendant plusieurs mois, j'ai enseigné à des étudiant·es très enthousiastes et, à la fin de leur semestre avec moi, elles et ils sont parti·es en s'interrogeant sur la pertinence de ce qu'elles et ils avaient appris.

Cet étudiant me disait essentiellement : « J'ai aimé votre cours, mais vous ne m'avez pas appris à utiliser les connaissances historiques que j'ai maintenant ». Il me faisait savoir que je ne lui avais pas montré comment, en tant qu'étudiant se spécialisant dans les affaires publiques, ses connaissances historiques devaient être appliquées. Comme vous pouvez l'imaginer, ce fut un tournant important dans la façon dont j'allais dispenser mon cours. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à penser à l'enseignement de l'histoire de manière radicale.

Pour éviter toute confusion, je tiens à préciser ce que j'entends par « enseigner l'histoire de manière radicale ». Je parle de l'utilisation d'une approche pédagogique qui expose les étudiant·es aux façons dont les connaissances et les méthodologies historiques peuvent être utilisées pour la transformation sociale. Cela signifie enseigner l'histoire de manière que les étudiant·es comprennent comment elle

Voici 4 éléments qui doivent être inclus dans un programme d'enseignement radical :

1. Ne négligez jamais les spécialités qui ne sont pas liées à l’histoire.

À certains égards, notre responsabilité en tant qu'enseignant·es auprèsd’étudiant·es d’autres spécialités est encore plus lourde que la responsabilité que nous avons envers celles et ceux qui sont en histoire. Les étudiant·es qui se spécialisent en histoire suivront de nombreux cours d'histoire et suivront peut-être des études supérieures dans ce domaine. Par contre, celles et ceux qui se sont spécialisé·es en économie, en science politique et en journalisme (par exemple) ne peuvent suivre que le seul cours d’histoire que vous leur enseignez. Et Dieu sait que s'il y a quelque chose dont le monde a besoin en ce moment, ce sont plutôt des non-historien·nes qui comprennent la valeur de l'histoire. Mieux encore, si ces personnes sont des économistes, des politicien·nes et des journalistes. Ne négligez jamais les personnes des autres spécialités. Nous avons besoin d'elles et eux pour comprendre comment fonctionne l'histoire.

2. Enseigner aux étudiant·es ce que l'histoire n'est pas.

Les étudiant·es s'inscrivent aux cours d'histoire avec toutes sortes d'idées préconçues (erronées) sur la discipline. Consacrez un temps de cours à la confrontation de ces idées et à leur démystification auprès de vos étudiant·es. Montrez-leur ce que l'histoire n'est pas, afin que vous puissiez les éduquer sur ce qu'est réellement l'histoire... J'ai créé une liste intitulée Ce que l'histoire n'est pas that you might find useful for your students.  Please feel free to use it in the classroom and to share it with your students.  You can download it below.

3. Montrer l'application (et la mauvaise application !) de l'histoire en cours.

Je reconnais que ce point particulier peut prêter à controverse - mais j'accepte les critiques et je les inclus parce que, de toute évidence, le monde va droit en enfer : des gens du monde entier utilisent fièrement la Swastika comme symbole de leur politique personnelle; les apologistes du colonialisme se font connaître; et les défenseur·es de tous les actes racistes, sexistes et xénophobes ont quitté les enfers pour occuper des fonctions politiques. La planète Terre est déjà passée par là et devoir se battre à nouveau contre tout cela est, franchement, fatigant. Personnellement, je préférerais mettre ces problèmes de côté et commencer à relever d'autres défis; comme on le dit souvent : « Si vous continuez à faire ce que vous avez toujours fait, vous obtiendrez toujours ce que vous avez toujours obtenu ». Il est clair que les historien·nes doivent se demander pourquoi nous nous engageons à nouveau dans cette voie et pourquoi nous n'avons pas réussi à l'arrêter. La réponse à cette question - je crois - peut être trouvée en s'engageant dans les conversations qui ont lieu au-delà des paramètres de notre pratique disciplinaire. Plus précisément, nous devons également amener ces discussions dans nos salles de classe. Il faut montrer aux élèves comment les politicien·nes, les responsables politiques, les journalistes (entre autres) ont usé et abusé des récits du passé pour soutenir un point de vue ou pour faire avancer un programme particulier. Plus jamais un·e élève ne devrait sortir d'un cours d'histoire en se demandant « à quoi bon avoir appris tout cela ? »

4. Enseigner aux étudiant·es moins de contenu et plus de discernement.

Soyons clairs sur un point : le sol s’est dérobé sous nos pieds. On parle de « s'adapter ou mourir ». Pardonnez ma tendance à l'hyperbole, mais elle est justifiée dans ce cas. Nous ne sommes pas nos étudiant·es. Leurs professeur·es lisent toujours le livre imprimé. Elles et ils lisent nos syllabus de cours sur leurs téléphones intelligents. Vous pouvez remercier ou blâmer Google pour cette différence mais le problème reste le même. Les étudiant·es accèdent différemment à l'information et beaucoup d'entre elles et eux la digèrent sans discernement. Une grande partie du temps en classe est consacrée à partager du contenu et à aider les étudiant·es à développer les compétences nécessaires pour construire des récits historiques. Moins de temps est consacré à enseigner aux étudiant·es comment déconstruire les récits du passé. Il est urgent d'enseigner en priorité à nos étudiant·es comment voir les failles des interprétations historiques qu'elles et ils trouvent sur des sites web aléatoires, incorporées dans le journalisme, qui alimentent les débats politiques et sont tissées dans les discours politiques. La manière de le faire doit être abordée directement dans la salle de classe, et rester sur le podium à pontifier des interprétations du passé ne contribue guère à remédier à la situation. Nous avons besoin de stratégies pour apprendre aux étudiant·es à discerner les hypothèses et les récits historiques qui méritent leur considération et réflexion.

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Audra A. Diptée.

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